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Le couple en exposition : un visiteur associable qui se suffit à lui-même ?

« Pour moi, rien n’est plus beau qu’un couple épanoui. L’homme et la femme qui réussissent ce prodige créent, ensemble, un troisième être qui dépasse chacun d’entre eux et qui les relie à l’harmonie du monde. » René Barjavel, le 13 octobre 1984.

En accord avec René Barjavel (et en incluant également les couples homosexuels), nous allons démontrer dans cet article, que, lorsqu’un couple visite une exposition ou un musée, il n’y a pas deux visiteurs uniques, mais bien trois : les deux individus et le couple.


Beaucoup d’études publiées jusque là se sont penchées sur des publics particuliers : les enfants, les familles, les jeunes, les groupes, etc.. Mais il est difficile de retrouver de la littérature dédiée aux visiteurs « couple » qui, pourtant, visitent énormément les musées et les expos : une étude suisse[1] montre que 38,9 % des visiteurs se sont rendus au musée accompagné de leur conjoint•e (contre 18,8 % en famille, 23,2 % seul, 16,1 % avec des amis, ou 4,1 % en groupe), tandis qu’une étude française[2], moins précise, précisait qu'un peu plus de la moitié des visiteurs résidant en France procède à une visite entre pairs, le tiers à une visite familiale et moins de 15% à une visite solitaire. Stéphane Débenetti (2009) affirme dans son article[3] que dans le cas des musées d’art et/ou d’archéologie, selon les musées considérés, 24% à 63% des visiteurs sont accompagnés de leur conjoint, 13% à 38% sont accompagnés d’amis et 3% à 24% d’enfants de moins de 15 ans.


Dans cet article, nous allons dans un premier temps essayer de comprendre les pratiques culturelles des couples, puis nous verrons comment le couple réalise sa propre médiation et enfin, nous comprendrons pourquoi elle lui est très personnelle.


Définir le couple et ses pratiques


Précisons déjà notre définition du couple dans l’exposition : le couple est constitué de deux personnes partageant une relation intime, qu’elles soient mariées, pacsées ou en concubinage. Il s’agit donc d’un visiteur accompagné de son/sa conjoint•e et vice versa. Le visiteur « couple » n’est pas accompagné de ses enfants (s’il en a) ou de ses ami•e•s (s’il en a).

Des entretiens réalisés par Cultur[E]val (publiés sur le blog)

, mais également des différentes enquêtes de fréquentation des musées, il est possible de catégoriser sommairement trois différents niveaux de pratiques culturelles qui s’imbriquent les unes aux autres.

La pratique touristique du couple : Elle concerne la majorité des couples et consiste à visiter un musée quand le couple est en voyage ou en excursion à l’extérieur de sa ville de résidence. Il cherche alors à s’imprégner du lieu visité, à en connaitre davantage son histoire et sa vie locale. La visite du musée représente chez beaucoup d’entre eux une « évidence », voire même un devoir. Par ailleurs, la visite des musées de leur propre région fait partie de « leurs résolutions » : ils veulent y aller, mais ne sautent pas le pas. Il faut davantage les inciter à accomplir cette résolution.


La pratique que nous appelons « évènementielle » : Elle concerne une partie des couples qui ont déjà une fréquentation touristique des musées. On retrouve ce type de pratique dans les études d’Olivier Donnat (1993) : ce public est guidé par une logique de l’exceptionnelle ou de l’occasion et a légèrement augmenté la fréquence moyenne de ses visites[4]. Les couples apprécient alors un décalage entre « l’image » symbolique du musée qui lui a été attribuée depuis les années 60 (et qui tend de plus en plus à être modernisée) et l’évènement (un thème d’exposition temporaire, un concert, des journées particulières nationales ou locales, etc…) qui y est proposé. Ils recherchent et apprécient le sentiment de faire une découverte par eux-mêmes, d’assister à un évènement rare, exceptionnel et éphémère. Pour aller dans un lieu qui propose une forme d’art à laquelle ils ne sont pas habitués et qu’ils ont peur de ne pas aimer, ils attendent ce genre d’évènement.


La pratique régulière ou « routinière » : Cette pratique concerne une minorité de couples. Ces couples ont déjà une pratique touristique, ainsi qu’une pratique évènementielle. A ces pratiques là s’ajoutent donc une pratique régulière (avec la visite d’une exposition au moins une fois par mois). Ils recherchent essentiellement la « nouveauté », et sont donc à l’écoute de toutes informations (presse, bouche à oreille, médias culturels, etc..). Ils apprécient surtout les musées ou lieux proposant des évènements « transmédias » ou transdisciplinaire. Ils ressentent beaucoup moins que les couples appartenant aux cercles des deux autres pratiques la pression sociale symbolique associée au musée (chuchotement, lieu culturel « consacré »), et adoptent une attitude plus experte tout en respectant et connaissant les codes de ces lieux.


Pourquoi peut-on dire que le couple fait médiation ?


S’approprier le contenu à deux

Commençons par reprendre les mots de Manon Niquette [5] (1994) : Le musée est un lieu de sociabilité où l’on échange, parle, rit, partage des émotions. Ces échanges et ces interactions ont bien plus d’importance qu’il n’y parait. En effet, pour l’auteure, les visiteurs apprennent en bavardant : « les énoncés de visiteurs, rassemblés autour d’un même objet, s’enchainent les uns aux autres pour former un parcours d’interprétation commun. Lorsque plusieurs personnes se retrouvent devant un exhibit, l’activité interprétative devient un processus collectif où plusieurs voies se croisent, un chemin où le geste de l’un détermine la direction du pas des autres. Chaque visiteur interfère dans le parcours des autres : par le simple fait d’appuyer sur une commande ou d’énoncer un commentaire, il oriente l’activité. »


Ces échanges entre visiteurs sont amplifiés au sein même du couple, ou l’interaction ne connait plus de barrière sociale. Dans les observations faîtes aux Abattoirs, musée d’art contemporain de Toulouse [Mettre lien], beaucoup d’interactions entre les deux individus se déroulaient devant une œuvre ou un texte. Chacune des entités composant le couple s’approprie un contenu de façon personnelle dans un premier temps. L’entité couple, par les interactions qu’elle provoque, amplifie cette appropriation dans un second temps et fait médiation entre les deux individus et l’exhibit. Résumons : la réception de l’œuvre est d’abord personnelle, solitaire et individuelle. La verbalisation du ressenti face au contenu et de son appropriation se fait à deux dans un second temps. Chaque individu réoriente alors le parcours d’interprétation de son/sa partenaire, lui donne une nouvelle perspective, une nouvelle façon de s’approprier ce contenu. Au-delà même du « contenu », ces interactions permettent aux visiteurs d’aller plus loin et d’échanger sur la mise en forme de ces contenus[6].


L’échange d’informations est essentiel chez la majorité de nos couples (surtout chez ceux dont la pratique est touristique ou/et évènementielle) : chacun partage avec l’autre une information qu’il a pu obtenir de lui-même et qu’il pense peut intéresser son/sa conjoint•e. Cette enchère d’apport d’informations amène le couple à rechercher par ailleurs des contenus pouvant satisfaire ses individus : l’exploration des expositions est complète.

Par ailleurs, ces échanges soudent l’entité couple : Dans quatre observations sur 5, il y a eu une synchronisation de la visite, et du comportement : il va s’établir une sorte de consensus à mi-chemin ; c’est-à-dire que l’individu moins « intéressé » va produire un effort pour adopter le comportement de son partenaire plus intéressé, tandis que l’individu le plus « intéressé » va accélérer son rythme de visite, et reproduire certains « bruits » de parcours (faisant des commentaires sur autre chose que les œuvres, détournant les usages prévus, etc.).

Là encore, l’entité couple influence l’individu. Bien se connaître devient un enjeu du couple, et la visite en exposition renforce cette connaissance de l’autre…


Mieux connaitre l’autre grâce à l’exhibit

En effet, les visiteurs ne viennent pas au musée strictement pour s’enrichir culturellement ; les informations qu’ils échangent leur donnent l’occasion de se connaître davantage entre eux et de confirmer le bien fondé du sens qu’ils accordent au savoir et à l’art. Nos observations ont confirmé que quelques œuvres évoquaient chez les sujets une histoire personnelle, et même au-delà, une histoire commune au couple. Si l’entité couple crée bien une nouvelle approche de l’œuvre chez les deux individus (le couple fait médiation entre le contenu et les individus), l’œuvre peut à son tour nuancer et faire évoluer la perception de l’un sur l’autre et la perception du couple qu’ils forment (l’œuvre fait médiation entre le couple et les deux individus). L’idée d’un rendez-vous amoureux donné dans une exposition est assez favorablement accueillie parmi nos sondés car ils trouvent que c’est effectivement l’occasion de mieux se connaître (nous y reviendrons dans un article plus « léger » très rapidement).


Bien que nos visiteurs en couple échangent énormément entre eux, un phénomène paradoxal se met en place, où le couple s’isole des autres visiteurs...


Le couple est un visiteur associable


Cherina et Stéphane nous l’expliquaient : pendant leur visite du musée Pierre Soulages, ils se sont séparés des autres visiteurs (dont leurs propres amies) pour pouvoir partager leur réception et parfois leur incompréhension, des œuvres de Pierre Soulages dans l’intimité de leur couple.


Lors de nos observations, nous avons également pu constater une distanciation physique du couple d’avec ses visiteurs adjacents. Il y a bien un partage, une sociabilité mais qui s’exprime dans l’intimité du couple de façon quasi-exclusive. Et l’intimité devient le mot clé : on partage, critique, s’exprime librement, rit, mais dans l’intimité de son couple. Le couple s’isole des autres visiteurs pour protéger cette intimité et s’exposer encore moins au jugement de leurs pairs, phénomène inhérent à la présence d’un individu dans un espace public comme le musée (par ailleurs, beaucoup de nos visiteurs en couple admettent parler entre eux des autres visiteurs présents dans l’exposition).


Ainsi, le sondage réalisé pour cette étude montrait bien que très peu de couples s’adressaient aux autres visiteurs, tandis qu’ils parlaient beaucoup entre eux. Et si cette entité tierce « couple » fait médiation entre les individus et les exhibits, elle a tendance à occulter par ailleurs les autres formes de médiation : un individu sur les deux lira un cartel bien précis, un seul d’entre eux feuillètera le guide, etc… Très peu de nos couples interrogés participent ensemble à des ateliers ou suivent une visite guidée : dans l’exposition, ils préfèrent parler entre eux des œuvres et des contenus, en se promenant tranquillement, profitant de la zone de confort créée par le couple pour apprécier différemment le lieu. Une disruption de cette zone de confort crée par l’intimité propre à chaque couple, ou une diminution de celle-ci (avec la présence d’amis par exemple) entraîne un changement immédiat du comportement de visite chez les deux individus.



En conclusion, il est intéressant de noter les deux phénomènes principaux qui sont caractéristiques de la visite du public couple : le couple est générateur de sa propre médiation, mais son associabilité est quasiment immuable. Pour arriver à capter davantage ce public et faire évoluer les pratiques culturelles des couples (amener les pratiques touristiques vers des pratiques plus locales par exemple), il faut donc accepter et mieux comprendre ces phénomènes, et leur proposer une offre de médiation et de consommation culturelle qui soit adaptée et respecte leurs mécanismes. Type de public trop négligé par rapport au public familial, alors qu’il est présent en nombre, il ne demande pourtant qu’à être davantage sollicité et invité à se déplacer dans un espace d’exposition.


Dans un prochain article, nous proposerons quelques offres, évènements ou outils de médiation qui peuvent aller dans ce sens.




[1] Publics et musées en Suisse: représentations emblématiques et rituel social

Par Arlette Mottaz Baran, 2005


[2] Musées et publics: bilan d’une décennie (2002-2011)

Jacqueline Eidelman, Anne Jonchery, Lucile Zizi département de la politique des publics de la Direction générale des patrimoines - MCC.


[3] L’expérience sociale du musée, entre visite anonyme et visite collaborative par Stéphane Debenedetti

Université Paris-Dauphine


[4] Qui fréquente les musées ? Olivier Donnat , dans Publics & Musées, n°3, juin 1993


[5]Manon Niquette : La Sociabilité au musée: un point d'ancrage pour l'évaluation des stratégies communicationnelles de la diffusion publique des sciences. In: Publics et Musées, n°6, 1994. pp. 119-128.

www.persee.fr/doc/pumus_1164-5385_1994_num_6_1_1283_t1_0119_0000_1


[6] Manon Niquette : La Sociabilité au musée: un point d'ancrage pour l'évaluation des stratégies communicationnelles de la diffusion publique des sciences. In: Publics et Musées, n°6, 1994. pp. 119-128.

www.persee.fr/doc/pumus_1164-5385_1994_num_6_1_1283_t1_0119_0000_1


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