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Que nous apprend l’observation du comportement de visite de 5 couples aux Abattoirs (musée d’art con

Pour compléter et confirmer les données déjà récoltées lors des entretiens, sondages et littératures obtenus sur le sujet " Les couples dans les expositions", Cultur[E]val a observé 5 couples d’âges différents au sein de l’exposition Picasso présentée aux Abattoirs.


Ces observations se sont déroulées en semaine (pour qu’il y ait moins d’interférences avec le reste des visiteurs) dans le courant de l’après midi. Les cinq couples observés sont âgés d’une vingtaine, trentaine, cinquantaine, soixantaine, et soixante-dizaine d’années. Ils ont été observés discrètement et sans qu’ils aient conscience de cette observation. Cultur[E]val, n’a eu aucune interaction avec eux, avant ou après les observations. Voici le résultat de ces observations :

1 : Il parle : « C’est beau ! … Allez, on se casse » (rires)

2 : Elle parle : « Viens voir ! ». Elle lit le texte, pas Lui, qui se sépare de sa partenaire, et va voir une autre œuvre.

3 : Elle le rejoint

4 : Interactions. Il montre la peinture et lui murmure quelque chose dans l’oreille.

5 : Ils discutent devant les peintures en les pointant du doigt.

6 : Lui est plus rapide qu’Elle.

7 : Ils se rejoignent. Elle lui montre des extraits de texte, tout en Lui montrant des gestes d’affection.

8 : Il essaye d’écouter une guide d’une visite guidée. Elle reproduit ce comportement en décalé.

9 : Ils lisent ensemble. Puis Il part, après lui avoir parlé. Elle reste pour lire davantage.

10 : Elle indique la similitude entre le petit tableau et la grande fresque.

11 : Elle le suit dans son parcours.

12 : Interactions devant le texte

13 : Il lit un peu et part, Elle lit davantage.

14 : Ils se rejoignent.

15 : Il reproduit le mouvement présent dans l’œuvre de Picasso.

16 : Ils commentent ensemble l’architecture du lieu.

17 : Ils regardent la vidéo ensemble, et s’arrêtent de la regarder ensemble également. Très peu de temps passé devant.

18 : Il est toujours plus rapide qu’Elle.

19 : Il la rejoint rapidement. Elle lui montre la méthode de peinture de Picasso et lui explique le texte.

20 : Ils partent de l’exposition en parlant.

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1 : Ils font une lecture complète du texte, tout en le commentant. Ils chuchotent, alors même que le bruit ambiant est plutôt fort.

2 : Elle est en avance, mais est vite rejointe par Lui. Elle commente l’œuvre, et Lui montre.

3 : Rapprochement physique devant l’œuvre.

4 : Ils se tiennent la main, se rapprochent à deux des œuvres pour en apprécier les détails.

5 : Elle Lui montre le cartel.

6 : Ils se lâchent la main devant le texte et en font une lecture intégrale.

7 : Ils regardent les statues, puis pointent le texte et commentent ensemble.

8 : Il Lui explique le vocabulaire (Elle est d’origine étrangère)

9 : Il lui explique les œuvres, Elle l’écoute attentivement.

10 : Ils tournent autour des statues séparément mais se rejoignent très rapidement.

11 : Elle est un peu en avance, mais L’attend devant un cartel.

12 : Ils se déplacent en se tenant la main.

13 : Ils écoutent le film ensemble et assis, pendant un long moment, et commencent ensuite à s’amuser avec les casques audio.

14 : Ils restent très longtemps devant la vitrine.

15 : Il est plus explorateur qu’Elle, Il prend une photo de l’architecture des lieux.

16 : Elle semble plus s’ennuyer, Elle regarde tout autour d’Elle et baille.

17 : Elle est plus rapide que Lui, mais ralentit régulièrement pour attendre son partenaire. Ils continuent de commenter ensemble ce qu’Ils voient.

18 : Elle murmure à son oreille, et Ils rigolent ensemble. Elle joue avec l’alarme de proximité de sécurité. Ils restent ensemble longtemps devant les œuvres.

19 : Ils se rapprochent physiquement devant un tableau érotique de Picasso.

20 : Elle Lui dit « J’aime pas », et Elle va regarder le texte explicatif.

21 : Alors qu’Il est concentré sur les œuvres, Elle essaye de l’amuser avec le bip de proximité de sécurité. Il l’imite ensuite.

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1 : Ils lisent le texte ensemble, et ils interagissent (pas sur le contenu mais sur le passage des autres visiteurs)

2 : Elle mène la marche, Lui La suit.

3 : Ils lisent le texte en entier

4 : Ils passent de texte en texte, et Ils passent plus de temps sur les textes que sur les œuvres. Elle mène toujours la marche.

5 : Ils interagissent devant le tableau.

6 : Elle est régulièrement à l’initiative des interactions entre Eux.

7 : Il va relire le texte avant de La rejoindre.

8 : Ils commentent ensemble le texte, tout en parlant doucement.

9 : « Ca, c’est beau ». Il regarde alors le cartel et le commente.

10 : Il devient à l’origine de la plupart des interactions entre Eux.

11 : Elle est toujours plus en avance que Lui.

12 : Ils continuent la lecture complète des textes présents dans l’exposition.

13, 14, 15 : Ils interagissent beaucoup : Ils portent tout deux un jugement artistique (beau, magnifique), parlent des détails présents sur les cartels (commentent les dates), et évoquent également la technique de l’artiste.

16 : Elle cherche des renseignements supplémentaires pour Lui.

17 : Il écoute seul la vidéo, mais Elle s’assoit quand même à côté de Lui. Après son visionnage, Ils discutent ensemble

18 : Ils partent en prenant l’ascenseur.

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1 : Il papillonne tandis qu’Elle se fixe : la visite se désynchronise.

2 : Elle visite progressivement (appréciation de chaque œuvre et lecture de l’ensemble des textes)

3 : Il commence à se fixer aussi et ralentit son parcours

4 : Elle ne lit plus les textes tandis que Lui, si.

5 : Elle lit le texte.

6 : Ils se croisent mais ne se rejoignent pas.

7 : Elle lit le texte.

8 : Elle s’assoit pour lire le texte et regarder l’œuvre.

9 : Ils se rejoignent mais ne se parlent pas, puis se reséparent.

10 : La visite n’est pas synchronisée, et Ils n’interagissent pas. La visite reste cependant complète.

11 : Ils se rejoignent et interagissent un peu. Puis la visite se synchronise lentement, les interactions reprennent.

12 : Ils passent un moment devant les photos, mais Ils ne regardent pas forcément la même chose en même temps. Ils ont un geste d’affection l’un pour l’autre.

13 : Ils se séparent temporairement avant de se retrouver très vite pour interagir discrètement.

14 : Nouveau geste d’affection, Ils s’attendent l’un l’autre, puis quittent la salle.

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1 : Interagissent beaucoup avant d’arriver devant le texte, s’arrete de parler pour la lecture. Reparlent après

2 : Montre l’œuvre et interagissent

3 : Groupe d’enfants à proximité, partent s’isoler dans la pièce d’à côté

4 : Elle prend des photos des statues

5 : Il est en avance mais Elle montre un élément du texte et Il revient. Elle parle beaucoup, Lui moins.

6 : Elle : « C’est un côté de Picasso que je connais moins »

7 : Elle commente le texte, Lui acquiesce

8 : Elle marche avec Lui en commentant

9 : Elle le ramène devant le texte

10 : Elle continue de commenter le texte pendant que lui acquiesce

11 : Elle montre les cartels, Lui est plus introspectif

12 : Lui est en avance

13 : Ils se rejoignent et parlent ensemble de la peinture

14 : Ils commentent le texte ensemble

15 : Comme il y a un groupe adjacent, la lecture est à distance, Ils n’ont pas la possibilité de regarder la vidéo

16 : Ils commentent la vitrine ensemble

17 : Elle se dirige directement vers le texte, Lui va vers les Å“uvres, mais La rejoint rapidement

18 : Ils regardent ensemble la fresque. Il lui montre la plus petite version de l’œuvre (présente en haut des escaliers), mais Elle continue de pointer les photos.

19 : Ils errent ensemble, vérifient les salles et remontent vers les autres étages.

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QUE FAUT-IL RETENIR DE CES OBSERVATIONS ?

Tous les couples ont exploré complètement l’exposition : toutes les salles (4) ont été visitées, toutes les œuvres ont été vues.


Il y a 3 entités qui visitent l’exposition : les deux individus et le couple. Le parcours exploratoire est complet : comme les individus s’influencent sur le temps de parcours, il y a bien une influence de l’entité couple sur l’individu ; la visite serait différente si l’individu était seul. S’il y a un blocage dans la possibilité d’interactions entre les deux partenaires (par distanciation, ou par usage individuel (comme pour l’écoute de la vidéo)), les deux partenaires prennent moins de temps pour contempler l’œuvre, ou en apprécier son contenu.


De plus, chacune de ces entités influence le regard de l’individu sur l’œuvre. Dans un premier temps, la réception de l’œuvre est personnelle, solitaire et individuelle. La verbalisation du ressenti se fait à deux dans un second temps (avec la volonté de partage constatée régulièrement, avec un pointage de doigt, ou un "Viens voir" lancé lorsque le couple s'est dissocié), l’entité couple crée alors une nouvelle approche de l’œuvre chez les deux individus. Ce phénomène influe également sur le concept d’intimité : la réception d’une œuvre d’art contemporaine (surtout lorsque l’on ne connait pas les intentions de son auteur) est très intime et personnelle : elle évoque en chacun d’entre nous un message qui nous est propre, une émotion différente. Or, un couple partage par définition une intimité commune. Deux intimités (l’intimité du couple et l’intimité personnelle) se mélangent donc : la première est nuancée, modifée par la seconde, lorsqu’il y a un partage entre les deux partenaires. Le couple protège cette intimité : chacune des interactions observées devant les œuvres sont chuchotées, murmurées, et discrètes. Intimité par ailleurs accentué par le type de lieu et les codes implicites de discrétion qu’il impose. Il n y a pas d’interactions avec les visiteurs adjacents, il se produit même une distanciation physique avec eux. Cette intimité du couple permet également d’augmenter le nombre d’interactions sur un ressenti plus « profond », plus émotionnel devant une œuvre ou qu'il ne produirait pas dans un autre groupe social (par gène, ou peur de ridicule par exemple) : beaucoup d’interactions sont observées lorsque les deux individus se retrouvent devant une œuvre.


Dans quatre cas sur 5, il y a eu une synchronisation de la visite, et du comportement : si l’un des deux partenaires est très intéressé par les œuvres et les textes, mais que l’autre l’est moins, il va s’établir une sorte de consensus à mi-chemin ; c’est-à-dire que l’individu moins « intéressé » va produire un effort pour adopter le comportement de son partenaire plus intéressé, tandis que l’individu le plus « intéressé » va accélérer son rythme de visite, et reproduire certains « bruits » de parcours (commentaires autres que sur œuvres, détournement des usages, etc.). On peut prendre en exemple le couple d’une vingtaine d’années, où l’homme, apparemment plus familier et habitué avec l’art contemporain va à la fois expliquer les œuvres et le vocabulaire à sa partenaire et tenter ainsi de la familiariser avec ce type d’œuvre et ralentir par ailleurs sa vitesse de progression, mais va également reproduire son comportement (ici, jouer avec les alarmes de proximité de sécurité) et accélérer son propre rythme de visite.

Cet exemple frappant de synchronisation de comportement se retrouve aussi chez un autre couple : Lorsque l’un essaye de s’intégrer dans un groupe de visite guidée, sa partenaire va tenter également, à son tour, d’écouter la guide du musée.


En fait, sur ces 4 couples synchronisés, on retrouve en effet ces phénomènes de consensus lorsque l’un des deux partenaires est davantage « intéressé » que l’autre ; lorsque les deux individus constituant le couple peuvent être différenciés par leur appréciation de l’art contemporain ; lorsque se crée cette troisième entité « couple » engendrant ce consensus de visite. On retrouve également ces phénomènes dans les entretiens menés auprès des deux couples « Cherina et Stéphane » et « Annabelle et Clément » à relire ici : Cherina et Stéphane ont crée leur propre intimité et ont séparé leur entité de couple du reste de leur groupes d’amis pour apprécier à deux les œuvres du musée Pierre Soulages ; Annabelle et Clément ont également adopté un consensus de couple : si Annabelle va lire et expliquer à Clément les cartels et le guide de visite, lui va pointer la technicité des œuvres qu’ils voient. Nous y reviendront dans notre prochain article de synthèse.


Le 5ème couple observé (d’une trentaine d’année) est moins synchronisé : chacun explore et s’investit devant l’œuvre différemment et séparément de leur conjoint, comme il y a moins d’interactions et de partage, leur temps de visite est plus court que celui des 4 autres couples. Cependant, ils ont tous les deux une visite exploratoire complète et passe du temps devant chacune des œuvres : ils ont tous les deux l’air d’être « intéressés » et d’être plus familiers avec les codes de l’art contemporain. Tous les deux n’interagissent pas pendant les ¾ de leur visite et ne se rejoignent qu’à la fin de l’expo dans la dernière salle, où ils commencent à interagir. On retrouve également ces éléments de comportement chez le couple interrogé « Marine et Valentin », très habitués aux expositions et qui ont une pratique culturelle hebdomadaire. Ces derniers ne partagent leur ressenti que lorsque celui-ci est particulièrement fort, lorsqu’une œuvre les interpelle vraiment. Aux Abattoirs, notre couple interagit principalement devant la grande fresque impressionnante de Picasso. Comme Marine et Valentin, le couple observé ne partage leur ressenti et ne crée l’entité « couple » qu’ à la fin de l’exposition, où ils se rapprochent et se montrent des signes d’affection.


Ces observations nous montrent bien qu’il y a bien des différences entre une visite en couple que dans un autre cadre de visite (visite en famille, entre amis, individuelle ou en groupe), différences amplifiées par les codes et la réception très personnelle de l’art contemporain. Et ce, notamment par la création de l’entité « couple » qui engendre une médiation entre œuvre et individus. Nous reviendrons sur ces différences majeures dans un dernier article de synthèse de notre étude « couple en exposition » qui reprendra et mettra en relation toutes les données acquises.


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